Palabras clave: Maryse Condé, Jacques roumain, Caribe francófono, mujer, teología de la liberación
Por Ignacio López-Calvo
Publicado en Francographies 7 (1998): 57-68
Dans cette situation, on commence à écouter de nouveaux discours pédagogiques, philosophiques, économiques et, surtout, théologiques: l'être humain, l'homme et la femme nouveaux, commencent à se rendre compte des mécanismes du système d'oppresion. Ils croient qu'on doit essayer de commencer l'utopie du royaume de Dieu ici, sur la Terre, au lieu d'attendre l'autre vie. Le peuple doit prendre conscience de la situation d'injustice. La libération doit naître d'une initiative libératrice active du peuple lui même plutôt que de la charité paternaliste des oppresseurs. Soudain, les écrivains ont un objectif commun: la vraisemblance des romans doit faire que le lecteur ou lectrice deviennent une femme ou un home neufs. Les récits sont, parfois, une véritable apologie des droits de l'homme, de la libération et, fréquemment, de la non-violence active.
Dans son livre Pedagogía del oprimido , Paulo Freire voit deux moments dans la libération de l'opprimé:
Le premier, dans lequel les opprimés commencent à découvrir le monde de l'oppression et, petit á petit, s'engagent dans la praxis et sa transformation, et, le dexième, dans lequel une fois que la réalité oppressive a été transformée, cette pédagogie s'arréte d'être celle de l'opprimé et devient la pédagogie des hommes dans un procés de libération permanente. (47)
Toutefois, il faut remarquer qu'il existe toujours le danger de
donner une aide paternaliste. Selon les paroles de Gutiérrez:
Il ne s'agit pas d'une "lutte pour les autres," d'une connotation paternaliste et à objectifs réformistes, mais de se voir comme un homme non réalisé qui habite dans une société aliéné, et, par conséquence, de s'identifier radicalement et combativement avec ceux—homme et classe sociale—quie souffrent d'abord le poids de l'oppression (188).
Dans l'ouvrage de Jacques Roumain Gouverneurs de la rosée on peut trouver un exemple de ce que la pensée de la libération appelle "L'homme nouveau." Manuel, dans l'ouvrage de Roumain est un homme nouveau parce qu'il donne littéralement sa vie pour les autres, pour sa société. Il croit à l'utopie de la libération, il a foi et espoir en la force de son peuple et il vit pour son idéal. Il croit aussi à la force de son peuple car, comme il le dit, sans eux le pays n'est rien du tout:
Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous
lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. (70, c'est nous qui soulignons)
Manuel a deux objectifs très importants: l'un est de trouver une source et l'autre—le principal—est de faire cesser la haine qui divise les habitants et réussir à faire que les gens mettent fin à l'orgueil; et c'est avec l'aide des femmes qu'il mène son enterprise à bon port. Les autres, comme Laurélien, le voient comme un guide et l'appellent 'chef'. C'est lui qui dénonce les oppresseurs: "Le juge de paix, la police rurale, les arpenteurs, les spéculateurs en denrées, il vivent sur nous comme des puces" (69). Délira, sa mère, a peur parce qu'elle croit en la véracité de ses paroles, or la vérité peut être un péché (37). Comme la protagoniste de Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart, elle adopte l'idée catholique traditionnelle que la vie est une vallée de larmes, une pénitence. Pour Télumée, "c'est là, au milieu des piquants de la canne, c'est là qu'un nègre doit se trouver" (200); Délira pense aussi que la terrible situation a un rapport avec Dieu, mais Manuel veut séparer les affaires célestes des terrestres:
la Providence, laisse-moi te dire, c'est le propre vouloir du nègre de ne pas accepter le malheur, de dompter chaque jour la mauvaise volonté de la terre […] et n'y a d'autre Providence que son travail d'habitant sérieux, d'autre miracle que le fruit de ses mains. (47)
Pour le peuple la solution à la sécheresse est d'organiser une céremonie vaudou pour que les loas intercèdent en leur faveur devant Dieu, mais il sait que la vraie solution est de trouver une source. On peut considérer Manuel comme un "homme nouveau," tout en reconnaissant qu'il a des défauts. Ainsi, son rêve révèle son image de l'amour parfait, où Anaïs dit qu'elle serait la servante de son désir (115). L'antagoniste de la famille rivale, Gervillain, assassine Manuel. Pourtant, pour continuer la réconciliation, il demande à sa mère de dire qu'il est mort d'un accès de fièvre.
Après avoir étudié les éléments présentant un rapport avec la pensée de la libération, considérons maintenant le problème de la religion dans le roman. Pour Jacques Roumain, à l'opposé de René Depestre, le vaudou est un élément d'aliénation, comme l'alcool. Cette religion, trait particulier de sa culture, est une partie négative de sa propre réalité, un retard intellectuel et culturel. La danse et l'alcool "noyaient leur conscience naufragée dans ces régions irréelles et louches où les guettait la déraison farouche des dieux africains (66). D'autre part, dans le premier chapitre de la deuxième partie de Je suis martiniquaise de Mayotte Capécia on a une situation très intéressante. D'abord, il convient d'examiner le contexte et la structure des situations vécues dans ce chapitre. Quand la protagoniste est à Fort de France elle nous affirme son respect pour le drapeau tricolore et sa vénération pour l'Impératrice Joséphine: une martiniquaise rayant épousé un blanc qui était le plus grand souverain du monde. Elle ajoute: "moi, comme toutes les petites filles de chez nous, j'avais souvent rêvé à ce destin sans pareil" (113). Il faut néanmoins reconnaître que l'éducation qu'elle a reçue est complètement eurocentriste. Comme l'a fait remarquer Maryse Condé: "on conçoit sans peine que l'école instituée selon ses directrices et dans cet esprit ne pouvait être libératoire [...] le modèle proposé aux nouveaux citoyens est 'le français adulte et civilisé'" (9). Comme elle le souligne c'est une contre-éducation, une aliénation selon laquelle les nègres doivent "oublier" leur race (13). La protagoniste Mayotte Capécia est évidemment un exemple de femme qui veut s'éloigner de sa société d'origine et s'en désolidariser. Comme l'a dit Paulo Freire, pour l'opprimé "leur idéal est, à vrai dire, d'être des hommes; mais pour eux, être des hommes est la contradiction dans laquelle ils se sont toujours trouvés, et qu'ils ne savent surmonter, c'est l'équivalent d'être oprresseurs," (35) dans ce cas-là, devenir le blanc de la "métropole."
Pour Mayotte, André, le blanc, devient le véhicule qu'elle utilise pour son ascension sociale. Elle déclare: "il me semblait que tout ce qu'il nommait m'appartenait. Je riais. Je me serrais contre lui" (137). Prenons le passage où quand elle explique qu'elle avait beaucoup de bijoux "en or pur comme les Martiniquaises même peu fortunées en possèdent" (131). Cette phrase est très révélatrice: elle aime les bijoux en or parce-qu'elle les avait hérités de sa grand-mère canadienne et blanche. Les bijoux sont dans ce passage un symbole de la "lactification" rêvée par la protagoniste.
D'autre part, il serait utile d'examiner la psychologie d'André. Il est le stéréotype du blanc hexagonal aux yeux bleus, aux cheveux blonds, et qui veut profiter d'une femme martiniquaise. On peut également soutenir qu'il est un symbole de l'exploitation et de la colonisation des Antilles par la France. Maryse Condé insiste sur le fait que dans les romans antillais "derrière l'homme blanc se profile la figure détestable du Maître de l'époque esclavagiste auquel tout était dû et qui avait toute liberté de satisfaire ses caprices charnels. D'une certaine manière, la relation homme blanc/femme noire est viciée au départ" (38). D'ailleurs, la protagoniste voit que la femme qu'elle admire, Loulouze, a un petit garçon blanc et une petite fille "couleur de banane." Elle n'a pas de mari et ses enfants ont des pères différents; quand même, elle lui demande: "-Pour quoi veux-tu que je retourne chez mon père? Est-ce que je ne peux pas réussir à me débrouiller comme toi? " (122). Le seul fait que Loulouze a de l'argent et des enfants blancs est consideré comme une promotion sociale. Mais on ne peut pas nier qu'à un certain point du roman, l'auteur prend conscience de la situation d'oppression quand elle déclare: "des hommes qui ne sont que de clowns se déguisent, pour nous abuser, en princes charmants. Je me croyais déjà femme, mais j'avais encore beaucoup d'illusions" (125). Sans doute, il s'agit d'une conclusion ultérieure, quand la romancière est plus âgée mais, au moins, elle en a pris conscience. En tout cas, il semble donc que dans son roman, l'auteur attire notre attention sur son admiration pour les blancs. En fait, elle dit "peut être est-ce un défaut, mais si je ne pouvais pas changer la couleur de ma peau, j'avais la volonté d'améliorer ma condition" (113). C'est cela qu'on appelle le 'désir de lactification.'
Dans le premier chapitre de la deuxième partie de Je suis
martiniquaise, on voit même que la couleur blanche est toujours un symbole de bonheur: "Mais je regardais surtout la rade d'un bleu profond que parcouraient les voiles blanches des yachts et qui semblait un vaste lac fermé par les collines. Je le regardais comme si elle était l'image de mon bonheur" (130). Elle insiste sur le fait qu'elle était heureuse d'avoir "un amant merveilleux! Un blanc! Un officier!..." (130). C'est-à-dire un symbole du pouvoir. Elle considère comme quelque chose de positif le fait que "les blancs n'épousent pas une femme noire" (131). D'ailleurs, elle méprise parfois les hommes noirs: "Je ne voulais plus toucher à ces hommes de couleur qui ne peuvent s'empêcher de courir après toutes les femmes" (131). On peut toutefois déplorer le fait qu'elle ne veuille pas voir la vérité. Elle n'est pas aveugle mais elle préfère songer. Après qu'il lui a relaté son amour pour une autre femme et lui a dit qu'elle était "sa première maîtresse" (132), Mayotte pense toujours: "En l'écoutant je me serrais un peu plus contre lui, comme s'il m'avait avoué qu'il m'amait." Enfin, nous devons nous demander si elle est complètement folle où si seulement elle a été acculturée et aliénée. Probablement, il s'agit du dernier cas.
Le béké parle de son amour "en dehors du temps et de l'espace" (138), en fin, du bavardage. Mais le plus triste c'est de voir qu'elle le croit et parle des "hauteurs où se promenait son esprit" (138). Elle pense qu'elle n'était "pas assez instruite, peut-être même pas assez civilisée pour pouvoir le comprendre;" elle se sentait "indigne de lui et désespérée" (138-9). Comme on verra dans Alléluia pour une femme jardin de René Depestre, le blanc est un hypocrite qui profite de la femme qui, elle, représente l'innocence des îles. Cependant, ce serait intéressant de voir qu'encore une fois elle semble consciente de l'oppression et se demande: "ne me traiterait-il pas dorénavant en enfant, comme font en géneral les blancs qui ont des liaisons avec des filles de couleur?" (139). En ce qui concerne l'aspect psychologique d'André, il est incapable d'accepter la négritude de Mayotte. Ainsi donc, il dit: "Quand je t'ai vue danser hier soir, comme tu l'as fait, je me suis mis à douter de toi. Cette exubérance, ces témoussements sauvages. J'ai peut-être été injuste,
mais..." (136). Il ne peut pas accepter qu'elle soit différente. On peut toutefois ne pas être d'accord avec Frantz Fanon quand il dit que "Je suis Martiniquaise est un ouvrage au rabais, prônant un comportament malsain"; l'attitude de la protagoniste est loin d'être stupide. Elle est seulement victime de l'oppression. Par conséquent, l'éducation aux Antilles, comme dans bon nombre d'autres pays dits du Tiers Monde, peut être un moyen d'échapper à la misère, mais c'est aussi une source d'oppression. Elle méprise la culture locale et, à partir de ce moment, ne fait que contribuer à l'aliénation. La protagoniste semble croire tous les mythes que Freire critique: "le mythe de la dynamicité des oppresseurs et celui de la paresse et du manque d'honnêteté des opprimés"; celui de "l'infériorité 'ontologique' de ceux-ci [les opprimés] et celui de la supériorité de ceux-là [les oppresseurs]" (179). Cela est une situation assez normale encore aujourd'hui au Brésil, au Mexique et même aux Etats Unis. Les années de domination et d'assimilation à la métropole font que le colonisé apprend a mépriser ses propres valeurs et développe un complexe
d'infériorité. Il faut envisager un autre facteur: à l'époque Capecia n'était pas l'exception mais la norme. Fanon, lui même le reconnaît:
Chaque fois que nous avons voulu analyser certains comportements, nous n'avons pu éviter l'apparition de phénomènes nauséeux. Le nombre de phrases, de proverbes, de petites lignes de conduite qui régissent le choix d'un amoureux est extraordinaire aux Antilles. Il s'agit de ne pas sombrer de nouveau dans la négraille, et toute Antillaise s'efforcera, dans ses flirts ou dans ses liaisons, de choisir le moins noir. (38)
En outre, Mayotte Capécia ne regrette pas sa terre comme Fanon l'a dit, car elle parle de la nature de la Martinique avec émotion. De toute façon, ce n'est pas un cas isolé: Sarmiento, en Argentine suivit une politique similaire. Pour lui la solution aux problèmes du pays était aussi de blanchir le peuple argentin avec des Européens. On peut aussi observer une autre situation d'oppression dans quelques récits de René Depestre, comme "De l'eau fraîche pour Georgina" dans son ouvrage Alléluia pour une femme-jardin. Dans une société si superstitieuse et attachée aux faits magiques, les gens préfèrent croire qu'ils ont découvert les liens entre le juge Damoclès Nérestan, qui est un quadragénaire, et Sor Zizile, une octogénaire. Ce scandale est beaucoup plus intéressant pour le peuple qu'un cas concret d'oppression: le désir du juge de violer la jeune fille. La vision de la femme dans ce récit n'est pas différente de la vision traditionnelle: la femme peut être envisagée comme la Vierge Marie, comme une mère ou comme une tentation. C'est la dernière interprétation qu'on va découvrir dans le personnage de Georgina.
Dans l'ouvrage, le mari franco-antillais bat sa femme à la maison où elle est l'objet de toutes sortes d'oppression, mais dehors on doît la respecter. On voit une telle attitude dans cette histoire: à cause des cris de Georgina un groupe d'hommes en armes s'engouffrent dans la maison pour la défendre. Cependant, une fois là, ils croient qu'elle "a été la proie d'une hallucination" ou qu'elle "est un champ de canne à sucre qui n'a pas été arrosé dans le derniers temps" (82). On lui souffle à l'oreille des remèdes décisifs avec des mots à double sens. Ces attitudes contradictoires montrent à quel point la double morale est donc mise en question.
Par ailleurs, en cherchant à analyser les causes de l'attitude de Sor Zizile, il faut tout d'abord reconnaître que, selon l'auteur, c'est à cause de la misère et "près d'un siècle d'humiliations" qui "avait tendu des toiles d'araignées dans son c¦ur" (77). La prémière question qui se pose c'est de savoir si Depestre considère Sor Zizile comme une femme mauvaise où simplement comme une autre fille de misère. Malgré l'attitude déplorable de la vieille femme, [elle "vend" la seule personne avec qui elle a des bavardages (sauf quelques voisines)] elle reste toujours un personnage assez sympathique. C'est le ton des déclarations du juge (dans le style indirect utilisé par Depestre) qui est, en realité, fortement critiqué. Ainsi donc, l'hypocrisie est évidente quand le juge affirme: "Pourtant Georgina a besoin d'aide. Comment pouvait-elle habiter sous le même toit qu'Irézile Saint-Julien? Cette vieille tombe de Sor Zizile!" (76). Il suffit de prendre comme exemple le vocabulaire utilisé: "Il va pouvoir apprivoiser cette pintade marrone de Georgina Pieirrils!" (76).
Nous ne pouvons pas dissocier cette question des idées de Freire; en parlant des classes dominantes, il denonçait "le mythe de leur charité, de leur générosité, quand ce qu'ils font, comme classe, n'est qu'assistance qui se révèle comme un mythe de fausse aide" (178). De même Irézile Saint-Julien insiste sur le fait que le juge était "un père de famille, qui chaque premier dimanche du mois, s'approchait de la Sainte Table" (76).
Selon les paroles—en style indirect encore—de Georgina, on
envisage le juge comme un être méprisable qui symbolise, à mon avis, l'oppression provenant de la métropole:
Pourquoi irait-elle à son âge qui éclate de santé partout dans son corps, pourquoi irait-elle frotter les "douleurs" d'un maître Damoclès, tout juge qu'il est au tribunal de paix? et après? Son corps n'était pas un accusé à livrer aux caprices de papa Damoclès. Tu peux courir, tu ne toucheras pas ma peau couleur de miel. (80)
Et ensuite s'ajoute l'image symbolique: "Georgina s'envoie un nouveau seau d'eau sur les seins pur les laver des mains imaginaires de maître Damoclès Nérestan." La corruption du juge est remarquable:
D'un coup de pinceau, elle avait effacé tous ses ennuis: des
histoires de vols de cabris qu'il fallait trancher; les coups de
téléphone reçus dans la journée du préfet et du lieutenant de gendarmerie lui demandant de ménager tel coupable ou de condamner tel innocent. Il barbotait chaque jour dans les mêmes litanies de la vie provinciale. (75)
En outre, le juge méprise les colonies et ses habitants. On ne doit pas oublier la signification symbolique de son nom: Damoclès était un courtisan de l'ancienne Syracuse, célèbre parce qu'il devait s'asseoir au dessous d'une épée suspendue par un fil. En fait, le narrateur fait allusion à cela. Il attire notre attention quand, en parlant de Georgina, il déclare qu'elle "n'a qu'à fermer les yeux pour éviter de voir si l'épée qu'elle reçoit est de soleil ou coulé dans du vieux plomb" (79). Il s'agit d'un béké, un blanc qui symbolise l'oppresion et la colonisation. Georgina représente, je crois, la beauté naturelle des Antilles menacée par l'hexagonal qui veut profiter d'elle. Comme l'a fait remarquer Joan Dayan, the most unfortunate twist particularly in his latter work remains a kind of domination or imposition of self onto soil -an imperial urge that becomes most obvious when the beauty of his native land becomes embodied as a beautiful woman, when the need to repossess the lost land excuses a sequence of possessions, a long list of ladies loved and lost. (585)
Il serait utile de constater aussi la chosification de la femme
dans ce récit. Elle est comparée souvent à l'eau, (justement comme dans Pluie et Vent sur Télumée Miracle). Alléluia pour une femme-jardin nous fournit de nombreux exemples de ce genre: "Georgina n'est pas la mer, tout en ayant pas mal de choses en commun avec elle" (79). Ailleurs, on compare Georgina à "un champ de canne à sucre;" à un jardin: "vivre le jardin merveilleux de Georgina" (78); à une lionne: elle fait "de belles ablutions d'eau fraîche, pour calmer en elle la lionne toujours aux aguets" (78). Elle fait partie de la nature et aussi, plusieurs éléments de la nature l'admirent: "Sa nudité ne peut exciter que les étoiles ou peut être quelque enfant précoce d'oiseau de nuit" (79); "chaque étoile crie la présence de Georgina sur la terre!" (75).
Dans ce roman, comme dans tous les autres que j'analyse ici, on peut observer que l'auteur prend conscience des traits particuliers des Antilles. Il ne s'agit plus de l'utilisation des valeurs européennes pour parler de la realité créole: on étudie maintenant la religion vaudou, le langage créole et les autres particularités des îles du point de vue de l'antillais lui-même. Dès la première page d'Alléluia pour une femme-jardin, on ne peut pas nier le fait qu'il s'agit d'un récit antillais. Sans nous appesantir sur les détails, notons toutefois qu'il se passe à Jacmel. De plus, il y a un grand nombre de personnages féminins, un fait typique d'une société matriarcale comme celle d'Haïti. En ce qui concerne les détails, on voit l'importance des voisines: "Elle sortait
peu, et à part les bavardages que le savoir-vivre lui faisait échanger avec Georgina Pierrilis, sa sous-locataire, et deux ou trois proches voisines, elle restait plutôt à l'écart du bouillonnement de la rue du Général-César-Ramonet" (74). Pour ce qui est des autres particularités haïtiennes, on parle des "tôles ondulés des toits," un signe de richesse relative aux Antilles francophones où beaucoup de cases ont un toit en paille. Il faut également noter l'étude des religions africaines, les superstitions, le vocabulaire créole ("mauvé moun," "houngan," "thé-saisi," "morne," etc), le symbolisme de l'eau et de la nature, etc. C'est typique aussi de la littérature antillaise francophone de parler de façon très crue et ouvertement de la sexualité; il n'y a pas de tabou sexuel. Ainsi, ce récit n'est pas une exception: "Saint Philippe et saint Jacques comprendront. Ils on été eux aussi des hommes avec ce qu'il faut sous la braguette pour les Georgina" (78), etc. L'érotisme dans l'histoire est très important.
Dans un autre récit on peut constater aussi d' autres exemples d'oppression: "le métayer nous parla aussi des nombreux abus des gardes ruraux et des propriétaires fonciers dont les paysans de la région étaient continuellement victimes" (21). Après, dans le récit "Noces à Tiscornie" il y a une autre situation d'oppression:
L'un des officiers de la sûreté cubaine qui nous interrogeait
avait, à un moment donné, prit Evelyn à part pour lui demander comment "une beauté immaculée, cultivée et raffinée comme elle avait pu arriver à Cuba au bras d'un mulâtre insolent, rouge et haïtien par-dessus le marché." (40)
Abordons maintenant le dernier roman choisi pour cette étude. La première constatation qui s'impose, quand on analyse le roman de Suzanne Dracius-Pinalie L'autre qui danse, c'est le sujet de l'opprimé qui devient oppresseur. Ainsi, il est intéressant de voir que les femmes déjà marquées de tatouages exhortaient Rehvana de se laisser faire la scarification. Si elles ont des cicatrices au visage l'autre femme doit les avoir aussi:
les femmes exhortaient Rehvana de leurs cris aigus, de
plus en plus haineux, car il fallait qu'elle soit comme elles, il
n'y avait pas de raison que cette petite bourgeoise à peau trop claire, cette mijaurée aux boucles souples, ait gagné les faveurs de leur plus beau mâle et se permette de refuser de faire le nécessaire pour être des leurs. (24)
Ajoutons à cela, le cas où les policiers, "les sbires appointés
mensuellement du colonialisme étatique" (59), qui sont venus des Antilles prennent goût à battre les autres qui sont venus après eux. C'est encore une fois le cas de l'opprimé qui devient oppresseur:
jusqu'à ce que la maréchaussée française envoie, pour séparer le tout, ses policiers lillois, bretons, martiniquais ou guyanais; et les uniformes bleu marin des fonctionnaires disciplinés de la République- " traîtres ", eux aussi, "vendus, assimilés, pourris! " gueulaient les Ebonis en retournant contre les derniers arrivants leurs poings endoloris et tout sanguinolents. (59)
Parfois, l'opprimé se croit liberé seulement quand il arrive à
opprimer les autres. Pour lui, l'oppresseur est le modèle d'homme, alors pour se libérer on doit devenir oppresseur. Rehvana est tombée amoureuse d'Abdoulaye mais comme la majorité des opprimés, selon Freire, elle a peur de la liberté (37) et par conséquent du bonheur: "Cette félicité cependant lui paraît délictueuse, traîtesse et vile" (35). L'aliénation fait qu'elle dépend de lui, elle est faible et sans lui elle tomberait; à côté de lui "elle se sent minuscule et perdue" (54). Elle vit pour Eric mais il la méprise quand il la compare à son ami Chabin: "le nègre roux valait mille fois mieux qu'elle, qui avait toujours, quoi qu'elle dise, le tort de n'être qu'une femme" (177).
Mais elle n'est pas la seule femme aliénée dans le roman; sa
voisine, Man Cidalise, est un exemple du colonisé qui utilise le langage des colons. Ainsi, elle dit a Rehvana: "Il faut dire aussi, une belle petite fille comme ça, quelle idée d'aller avec des manières de nègres d'en bas du bois" (137); et après: "passe que missié-taa était crochu et laid, et noir comme un péché mortel!" Mais, au moins, Rehvana est capable d'apprécier les choses positives de son pays:
une suave et réelle chair de poule de l'irrationel de son peuple, par sa naïve et si farceuse magie" [...]"elle peut lire ainsi sur son corps l'émotion, et violente, et physique, que lui offre, charnelle, la mémoire de sa race - son irréel si concrètement soudé au quotidien, son Histoire fondue aux histoires, au fur et à mesure que l'imprègnent et l'intègrent l'incroyable et le merveilleux. (147)
D'après ce qui précède, il semble qu'en définitive, le problème de l'aliénation et la situation d'oppression des Caraïbes ne sont pas si différents de ceux de l'Amérique Latine. Les rapports sont évidents, et l'étude de la coïncidence avec les idées de la pensée de la libération peut sans doute aider à mieux comprende ces romans. Au terme de cette analyse on doit faire remarquer que la quête d'une identité propre est peut-être le thème le plus important dans cette littérature franco-antillaise: Ils ne sont pas Africains, ils ne sont pas Français, alors qu'est-ce que c'est être Antillais? C'est une quête qui commence avec la revalorisation de la culture créole et de tous ses traits particuliers. On a vu aussi comme la voix de la femme a commencé à se faire entendre: la femme qui est doublement opprimée par les békés et par son mari. Un autre trait de ces romans est leur pessimisme général, bien qu'habituellement à la fin ils loissent une porte ouverte sur l'espoir.
Bibliographie consultee
Capécia Mayotte. Je suis Martiniquaise. Paris: Correa, 1948.
Colimon, Marie-Thérèse. Fils de Misère. Port-au-Prince: Caraïbes, 1974.
Condé, Maryse. La parole des femmes. Paris: L'harmattan, 1979.
Dayan, Joan. "'Hallelujah for a Garden-Woman': the Caribbean Adam and His Pretext." The French Review. 59.4 March (1986).
Depestre, René. Alléluia pour une femme-jardin. France: Gallimard, 1981.
Dracius-Pinalie, Suzanne. L'autre qui danse. Paris: Seghers, 1989.
Fanon, Frantz. Peau noire masques blancs. Paris: Editions du Seuil, 1952.
Freire, Paulo. Pedagogía del oprimido. México: Siglo veintiuno, 1969.
Gómez-Martínez, José Luis. "Consideraciones epistemológicas para una filosofía de la liberación." Cuadernos Americanos. 4(1990): 106-19.
Gutiérrez, Gustavo. Teología de la liberación. Perspectivas. Salamanca: Sígueme, 1990.
Roumain, Jacques. Gouverneurs de la rosée. Paris: Messidor, 1944.
Sarmiento, Domingo Faustino. Antología total de Sarmiento. Selección y ordenación de Germán Berdiales. Buenos Aires: Ediciones Culturales Argentinas, 1962.
Schuarz-Bart, Simone. Pluie et Vent sur Télumée Miracle. Paris: Editions du Seuil, 1972.
Por Ignacio López-Calvo
Publicado en Francographies 7 (1998): 57-68
A la fin des années soixante un mouvement original est né en Amérique Latine: la pensée de la libération. Il s'agit d'une réaction logique à la situation d'injustice régnant sur le continent. Les prêtres et les évêques catholiques commencent à se rendre compte que pour sauver l'être humain du péché, il est indispensable de le libérer d'abord de la pauvreté et de l'ignorance. Ces deux derniers aspects de la libération sont très importants pour arriver à comprendre les oeuvres que seront analysées ici. Cet essai étude la prise de conscience de la situation d'oppresion dans la littérature franco-antillaise et dans la pensée de la libération. Un dialogue semble évident entre les deux manifestations littéraires, la théorie et l'art.
La naissance de la pensée de la libération coïncide avec les
problèmes socio-politiques nés autour des années soixante. On commence à voir les limitations des plans de dévelopment des années cinquante. On avait oublié que les circonstances de l'Amérique Latine étaient très différentes de celles de l'Europe. On assiste à l'époque à la naissance de mouvements syndicalistes et à la lutte contre les régimes militaires qui contrôlaient la plupart des pays latinoaméricains, aidés par les pays industrialisés (spécialement les Etats Unis) dans une politique visant à la
création d'"états de sécurité," capables d'arrêter l'avance du socialisme.
La naissance de la pensée de la libération coïncide avec les
problèmes socio-politiques nés autour des années soixante. On commence à voir les limitations des plans de dévelopment des années cinquante. On avait oublié que les circonstances de l'Amérique Latine étaient très différentes de celles de l'Europe. On assiste à l'époque à la naissance de mouvements syndicalistes et à la lutte contre les régimes militaires qui contrôlaient la plupart des pays latinoaméricains, aidés par les pays industrialisés (spécialement les Etats Unis) dans une politique visant à la
création d'"états de sécurité," capables d'arrêter l'avance du socialisme.
Dans cette situation, on commence à écouter de nouveaux discours pédagogiques, philosophiques, économiques et, surtout, théologiques: l'être humain, l'homme et la femme nouveaux, commencent à se rendre compte des mécanismes du système d'oppresion. Ils croient qu'on doit essayer de commencer l'utopie du royaume de Dieu ici, sur la Terre, au lieu d'attendre l'autre vie. Le peuple doit prendre conscience de la situation d'injustice. La libération doit naître d'une initiative libératrice active du peuple lui même plutôt que de la charité paternaliste des oppresseurs. Soudain, les écrivains ont un objectif commun: la vraisemblance des romans doit faire que le lecteur ou lectrice deviennent une femme ou un home neufs. Les récits sont, parfois, une véritable apologie des droits de l'homme, de la libération et, fréquemment, de la non-violence active.
Dans son livre Pedagogía del oprimido , Paulo Freire voit deux moments dans la libération de l'opprimé:
Le premier, dans lequel les opprimés commencent à découvrir le monde de l'oppression et, petit á petit, s'engagent dans la praxis et sa transformation, et, le dexième, dans lequel une fois que la réalité oppressive a été transformée, cette pédagogie s'arréte d'être celle de l'opprimé et devient la pédagogie des hommes dans un procés de libération permanente. (47)
Toutefois, il faut remarquer qu'il existe toujours le danger de
donner une aide paternaliste. Selon les paroles de Gutiérrez:
Il ne s'agit pas d'une "lutte pour les autres," d'une connotation paternaliste et à objectifs réformistes, mais de se voir comme un homme non réalisé qui habite dans une société aliéné, et, par conséquence, de s'identifier radicalement et combativement avec ceux—homme et classe sociale—quie souffrent d'abord le poids de l'oppression (188).
Dans l'ouvrage de Jacques Roumain Gouverneurs de la rosée on peut trouver un exemple de ce que la pensée de la libération appelle "L'homme nouveau." Manuel, dans l'ouvrage de Roumain est un homme nouveau parce qu'il donne littéralement sa vie pour les autres, pour sa société. Il croit à l'utopie de la libération, il a foi et espoir en la force de son peuple et il vit pour son idéal. Il croit aussi à la force de son peuple car, comme il le dit, sans eux le pays n'est rien du tout:
Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous
lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. (70, c'est nous qui soulignons)
Manuel a deux objectifs très importants: l'un est de trouver une source et l'autre—le principal—est de faire cesser la haine qui divise les habitants et réussir à faire que les gens mettent fin à l'orgueil; et c'est avec l'aide des femmes qu'il mène son enterprise à bon port. Les autres, comme Laurélien, le voient comme un guide et l'appellent 'chef'. C'est lui qui dénonce les oppresseurs: "Le juge de paix, la police rurale, les arpenteurs, les spéculateurs en denrées, il vivent sur nous comme des puces" (69). Délira, sa mère, a peur parce qu'elle croit en la véracité de ses paroles, or la vérité peut être un péché (37). Comme la protagoniste de Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart, elle adopte l'idée catholique traditionnelle que la vie est une vallée de larmes, une pénitence. Pour Télumée, "c'est là, au milieu des piquants de la canne, c'est là qu'un nègre doit se trouver" (200); Délira pense aussi que la terrible situation a un rapport avec Dieu, mais Manuel veut séparer les affaires célestes des terrestres:
la Providence, laisse-moi te dire, c'est le propre vouloir du nègre de ne pas accepter le malheur, de dompter chaque jour la mauvaise volonté de la terre […] et n'y a d'autre Providence que son travail d'habitant sérieux, d'autre miracle que le fruit de ses mains. (47)
Pour le peuple la solution à la sécheresse est d'organiser une céremonie vaudou pour que les loas intercèdent en leur faveur devant Dieu, mais il sait que la vraie solution est de trouver une source. On peut considérer Manuel comme un "homme nouveau," tout en reconnaissant qu'il a des défauts. Ainsi, son rêve révèle son image de l'amour parfait, où Anaïs dit qu'elle serait la servante de son désir (115). L'antagoniste de la famille rivale, Gervillain, assassine Manuel. Pourtant, pour continuer la réconciliation, il demande à sa mère de dire qu'il est mort d'un accès de fièvre.
Après avoir étudié les éléments présentant un rapport avec la pensée de la libération, considérons maintenant le problème de la religion dans le roman. Pour Jacques Roumain, à l'opposé de René Depestre, le vaudou est un élément d'aliénation, comme l'alcool. Cette religion, trait particulier de sa culture, est une partie négative de sa propre réalité, un retard intellectuel et culturel. La danse et l'alcool "noyaient leur conscience naufragée dans ces régions irréelles et louches où les guettait la déraison farouche des dieux africains (66). D'autre part, dans le premier chapitre de la deuxième partie de Je suis martiniquaise de Mayotte Capécia on a une situation très intéressante. D'abord, il convient d'examiner le contexte et la structure des situations vécues dans ce chapitre. Quand la protagoniste est à Fort de France elle nous affirme son respect pour le drapeau tricolore et sa vénération pour l'Impératrice Joséphine: une martiniquaise rayant épousé un blanc qui était le plus grand souverain du monde. Elle ajoute: "moi, comme toutes les petites filles de chez nous, j'avais souvent rêvé à ce destin sans pareil" (113). Il faut néanmoins reconnaître que l'éducation qu'elle a reçue est complètement eurocentriste. Comme l'a fait remarquer Maryse Condé: "on conçoit sans peine que l'école instituée selon ses directrices et dans cet esprit ne pouvait être libératoire [...] le modèle proposé aux nouveaux citoyens est 'le français adulte et civilisé'" (9). Comme elle le souligne c'est une contre-éducation, une aliénation selon laquelle les nègres doivent "oublier" leur race (13). La protagoniste Mayotte Capécia est évidemment un exemple de femme qui veut s'éloigner de sa société d'origine et s'en désolidariser. Comme l'a dit Paulo Freire, pour l'opprimé "leur idéal est, à vrai dire, d'être des hommes; mais pour eux, être des hommes est la contradiction dans laquelle ils se sont toujours trouvés, et qu'ils ne savent surmonter, c'est l'équivalent d'être oprresseurs," (35) dans ce cas-là, devenir le blanc de la "métropole."
Pour Mayotte, André, le blanc, devient le véhicule qu'elle utilise pour son ascension sociale. Elle déclare: "il me semblait que tout ce qu'il nommait m'appartenait. Je riais. Je me serrais contre lui" (137). Prenons le passage où quand elle explique qu'elle avait beaucoup de bijoux "en or pur comme les Martiniquaises même peu fortunées en possèdent" (131). Cette phrase est très révélatrice: elle aime les bijoux en or parce-qu'elle les avait hérités de sa grand-mère canadienne et blanche. Les bijoux sont dans ce passage un symbole de la "lactification" rêvée par la protagoniste.
D'autre part, il serait utile d'examiner la psychologie d'André. Il est le stéréotype du blanc hexagonal aux yeux bleus, aux cheveux blonds, et qui veut profiter d'une femme martiniquaise. On peut également soutenir qu'il est un symbole de l'exploitation et de la colonisation des Antilles par la France. Maryse Condé insiste sur le fait que dans les romans antillais "derrière l'homme blanc se profile la figure détestable du Maître de l'époque esclavagiste auquel tout était dû et qui avait toute liberté de satisfaire ses caprices charnels. D'une certaine manière, la relation homme blanc/femme noire est viciée au départ" (38). D'ailleurs, la protagoniste voit que la femme qu'elle admire, Loulouze, a un petit garçon blanc et une petite fille "couleur de banane." Elle n'a pas de mari et ses enfants ont des pères différents; quand même, elle lui demande: "-Pour quoi veux-tu que je retourne chez mon père? Est-ce que je ne peux pas réussir à me débrouiller comme toi? " (122). Le seul fait que Loulouze a de l'argent et des enfants blancs est consideré comme une promotion sociale. Mais on ne peut pas nier qu'à un certain point du roman, l'auteur prend conscience de la situation d'oppression quand elle déclare: "des hommes qui ne sont que de clowns se déguisent, pour nous abuser, en princes charmants. Je me croyais déjà femme, mais j'avais encore beaucoup d'illusions" (125). Sans doute, il s'agit d'une conclusion ultérieure, quand la romancière est plus âgée mais, au moins, elle en a pris conscience. En tout cas, il semble donc que dans son roman, l'auteur attire notre attention sur son admiration pour les blancs. En fait, elle dit "peut être est-ce un défaut, mais si je ne pouvais pas changer la couleur de ma peau, j'avais la volonté d'améliorer ma condition" (113). C'est cela qu'on appelle le 'désir de lactification.'
Dans le premier chapitre de la deuxième partie de Je suis
martiniquaise, on voit même que la couleur blanche est toujours un symbole de bonheur: "Mais je regardais surtout la rade d'un bleu profond que parcouraient les voiles blanches des yachts et qui semblait un vaste lac fermé par les collines. Je le regardais comme si elle était l'image de mon bonheur" (130). Elle insiste sur le fait qu'elle était heureuse d'avoir "un amant merveilleux! Un blanc! Un officier!..." (130). C'est-à-dire un symbole du pouvoir. Elle considère comme quelque chose de positif le fait que "les blancs n'épousent pas une femme noire" (131). D'ailleurs, elle méprise parfois les hommes noirs: "Je ne voulais plus toucher à ces hommes de couleur qui ne peuvent s'empêcher de courir après toutes les femmes" (131). On peut toutefois déplorer le fait qu'elle ne veuille pas voir la vérité. Elle n'est pas aveugle mais elle préfère songer. Après qu'il lui a relaté son amour pour une autre femme et lui a dit qu'elle était "sa première maîtresse" (132), Mayotte pense toujours: "En l'écoutant je me serrais un peu plus contre lui, comme s'il m'avait avoué qu'il m'amait." Enfin, nous devons nous demander si elle est complètement folle où si seulement elle a été acculturée et aliénée. Probablement, il s'agit du dernier cas.
Le béké parle de son amour "en dehors du temps et de l'espace" (138), en fin, du bavardage. Mais le plus triste c'est de voir qu'elle le croit et parle des "hauteurs où se promenait son esprit" (138). Elle pense qu'elle n'était "pas assez instruite, peut-être même pas assez civilisée pour pouvoir le comprendre;" elle se sentait "indigne de lui et désespérée" (138-9). Comme on verra dans Alléluia pour une femme jardin de René Depestre, le blanc est un hypocrite qui profite de la femme qui, elle, représente l'innocence des îles. Cependant, ce serait intéressant de voir qu'encore une fois elle semble consciente de l'oppression et se demande: "ne me traiterait-il pas dorénavant en enfant, comme font en géneral les blancs qui ont des liaisons avec des filles de couleur?" (139). En ce qui concerne l'aspect psychologique d'André, il est incapable d'accepter la négritude de Mayotte. Ainsi donc, il dit: "Quand je t'ai vue danser hier soir, comme tu l'as fait, je me suis mis à douter de toi. Cette exubérance, ces témoussements sauvages. J'ai peut-être été injuste,
mais..." (136). Il ne peut pas accepter qu'elle soit différente. On peut toutefois ne pas être d'accord avec Frantz Fanon quand il dit que "Je suis Martiniquaise est un ouvrage au rabais, prônant un comportament malsain"; l'attitude de la protagoniste est loin d'être stupide. Elle est seulement victime de l'oppression. Par conséquent, l'éducation aux Antilles, comme dans bon nombre d'autres pays dits du Tiers Monde, peut être un moyen d'échapper à la misère, mais c'est aussi une source d'oppression. Elle méprise la culture locale et, à partir de ce moment, ne fait que contribuer à l'aliénation. La protagoniste semble croire tous les mythes que Freire critique: "le mythe de la dynamicité des oppresseurs et celui de la paresse et du manque d'honnêteté des opprimés"; celui de "l'infériorité 'ontologique' de ceux-ci [les opprimés] et celui de la supériorité de ceux-là [les oppresseurs]" (179). Cela est une situation assez normale encore aujourd'hui au Brésil, au Mexique et même aux Etats Unis. Les années de domination et d'assimilation à la métropole font que le colonisé apprend a mépriser ses propres valeurs et développe un complexe
d'infériorité. Il faut envisager un autre facteur: à l'époque Capecia n'était pas l'exception mais la norme. Fanon, lui même le reconnaît:
Chaque fois que nous avons voulu analyser certains comportements, nous n'avons pu éviter l'apparition de phénomènes nauséeux. Le nombre de phrases, de proverbes, de petites lignes de conduite qui régissent le choix d'un amoureux est extraordinaire aux Antilles. Il s'agit de ne pas sombrer de nouveau dans la négraille, et toute Antillaise s'efforcera, dans ses flirts ou dans ses liaisons, de choisir le moins noir. (38)
En outre, Mayotte Capécia ne regrette pas sa terre comme Fanon l'a dit, car elle parle de la nature de la Martinique avec émotion. De toute façon, ce n'est pas un cas isolé: Sarmiento, en Argentine suivit une politique similaire. Pour lui la solution aux problèmes du pays était aussi de blanchir le peuple argentin avec des Européens. On peut aussi observer une autre situation d'oppression dans quelques récits de René Depestre, comme "De l'eau fraîche pour Georgina" dans son ouvrage Alléluia pour une femme-jardin. Dans une société si superstitieuse et attachée aux faits magiques, les gens préfèrent croire qu'ils ont découvert les liens entre le juge Damoclès Nérestan, qui est un quadragénaire, et Sor Zizile, une octogénaire. Ce scandale est beaucoup plus intéressant pour le peuple qu'un cas concret d'oppression: le désir du juge de violer la jeune fille. La vision de la femme dans ce récit n'est pas différente de la vision traditionnelle: la femme peut être envisagée comme la Vierge Marie, comme une mère ou comme une tentation. C'est la dernière interprétation qu'on va découvrir dans le personnage de Georgina.
Dans l'ouvrage, le mari franco-antillais bat sa femme à la maison où elle est l'objet de toutes sortes d'oppression, mais dehors on doît la respecter. On voit une telle attitude dans cette histoire: à cause des cris de Georgina un groupe d'hommes en armes s'engouffrent dans la maison pour la défendre. Cependant, une fois là, ils croient qu'elle "a été la proie d'une hallucination" ou qu'elle "est un champ de canne à sucre qui n'a pas été arrosé dans le derniers temps" (82). On lui souffle à l'oreille des remèdes décisifs avec des mots à double sens. Ces attitudes contradictoires montrent à quel point la double morale est donc mise en question.
Par ailleurs, en cherchant à analyser les causes de l'attitude de Sor Zizile, il faut tout d'abord reconnaître que, selon l'auteur, c'est à cause de la misère et "près d'un siècle d'humiliations" qui "avait tendu des toiles d'araignées dans son c¦ur" (77). La prémière question qui se pose c'est de savoir si Depestre considère Sor Zizile comme une femme mauvaise où simplement comme une autre fille de misère. Malgré l'attitude déplorable de la vieille femme, [elle "vend" la seule personne avec qui elle a des bavardages (sauf quelques voisines)] elle reste toujours un personnage assez sympathique. C'est le ton des déclarations du juge (dans le style indirect utilisé par Depestre) qui est, en realité, fortement critiqué. Ainsi donc, l'hypocrisie est évidente quand le juge affirme: "Pourtant Georgina a besoin d'aide. Comment pouvait-elle habiter sous le même toit qu'Irézile Saint-Julien? Cette vieille tombe de Sor Zizile!" (76). Il suffit de prendre comme exemple le vocabulaire utilisé: "Il va pouvoir apprivoiser cette pintade marrone de Georgina Pieirrils!" (76).
Nous ne pouvons pas dissocier cette question des idées de Freire; en parlant des classes dominantes, il denonçait "le mythe de leur charité, de leur générosité, quand ce qu'ils font, comme classe, n'est qu'assistance qui se révèle comme un mythe de fausse aide" (178). De même Irézile Saint-Julien insiste sur le fait que le juge était "un père de famille, qui chaque premier dimanche du mois, s'approchait de la Sainte Table" (76).
Selon les paroles—en style indirect encore—de Georgina, on
envisage le juge comme un être méprisable qui symbolise, à mon avis, l'oppression provenant de la métropole:
Pourquoi irait-elle à son âge qui éclate de santé partout dans son corps, pourquoi irait-elle frotter les "douleurs" d'un maître Damoclès, tout juge qu'il est au tribunal de paix? et après? Son corps n'était pas un accusé à livrer aux caprices de papa Damoclès. Tu peux courir, tu ne toucheras pas ma peau couleur de miel. (80)
Et ensuite s'ajoute l'image symbolique: "Georgina s'envoie un nouveau seau d'eau sur les seins pur les laver des mains imaginaires de maître Damoclès Nérestan." La corruption du juge est remarquable:
D'un coup de pinceau, elle avait effacé tous ses ennuis: des
histoires de vols de cabris qu'il fallait trancher; les coups de
téléphone reçus dans la journée du préfet et du lieutenant de gendarmerie lui demandant de ménager tel coupable ou de condamner tel innocent. Il barbotait chaque jour dans les mêmes litanies de la vie provinciale. (75)
En outre, le juge méprise les colonies et ses habitants. On ne doit pas oublier la signification symbolique de son nom: Damoclès était un courtisan de l'ancienne Syracuse, célèbre parce qu'il devait s'asseoir au dessous d'une épée suspendue par un fil. En fait, le narrateur fait allusion à cela. Il attire notre attention quand, en parlant de Georgina, il déclare qu'elle "n'a qu'à fermer les yeux pour éviter de voir si l'épée qu'elle reçoit est de soleil ou coulé dans du vieux plomb" (79). Il s'agit d'un béké, un blanc qui symbolise l'oppresion et la colonisation. Georgina représente, je crois, la beauté naturelle des Antilles menacée par l'hexagonal qui veut profiter d'elle. Comme l'a fait remarquer Joan Dayan, the most unfortunate twist particularly in his latter work remains a kind of domination or imposition of self onto soil -an imperial urge that becomes most obvious when the beauty of his native land becomes embodied as a beautiful woman, when the need to repossess the lost land excuses a sequence of possessions, a long list of ladies loved and lost. (585)
Il serait utile de constater aussi la chosification de la femme
dans ce récit. Elle est comparée souvent à l'eau, (justement comme dans Pluie et Vent sur Télumée Miracle). Alléluia pour une femme-jardin nous fournit de nombreux exemples de ce genre: "Georgina n'est pas la mer, tout en ayant pas mal de choses en commun avec elle" (79). Ailleurs, on compare Georgina à "un champ de canne à sucre;" à un jardin: "vivre le jardin merveilleux de Georgina" (78); à une lionne: elle fait "de belles ablutions d'eau fraîche, pour calmer en elle la lionne toujours aux aguets" (78). Elle fait partie de la nature et aussi, plusieurs éléments de la nature l'admirent: "Sa nudité ne peut exciter que les étoiles ou peut être quelque enfant précoce d'oiseau de nuit" (79); "chaque étoile crie la présence de Georgina sur la terre!" (75).
Dans ce roman, comme dans tous les autres que j'analyse ici, on peut observer que l'auteur prend conscience des traits particuliers des Antilles. Il ne s'agit plus de l'utilisation des valeurs européennes pour parler de la realité créole: on étudie maintenant la religion vaudou, le langage créole et les autres particularités des îles du point de vue de l'antillais lui-même. Dès la première page d'Alléluia pour une femme-jardin, on ne peut pas nier le fait qu'il s'agit d'un récit antillais. Sans nous appesantir sur les détails, notons toutefois qu'il se passe à Jacmel. De plus, il y a un grand nombre de personnages féminins, un fait typique d'une société matriarcale comme celle d'Haïti. En ce qui concerne les détails, on voit l'importance des voisines: "Elle sortait
peu, et à part les bavardages que le savoir-vivre lui faisait échanger avec Georgina Pierrilis, sa sous-locataire, et deux ou trois proches voisines, elle restait plutôt à l'écart du bouillonnement de la rue du Général-César-Ramonet" (74). Pour ce qui est des autres particularités haïtiennes, on parle des "tôles ondulés des toits," un signe de richesse relative aux Antilles francophones où beaucoup de cases ont un toit en paille. Il faut également noter l'étude des religions africaines, les superstitions, le vocabulaire créole ("mauvé moun," "houngan," "thé-saisi," "morne," etc), le symbolisme de l'eau et de la nature, etc. C'est typique aussi de la littérature antillaise francophone de parler de façon très crue et ouvertement de la sexualité; il n'y a pas de tabou sexuel. Ainsi, ce récit n'est pas une exception: "Saint Philippe et saint Jacques comprendront. Ils on été eux aussi des hommes avec ce qu'il faut sous la braguette pour les Georgina" (78), etc. L'érotisme dans l'histoire est très important.
Dans un autre récit on peut constater aussi d' autres exemples d'oppression: "le métayer nous parla aussi des nombreux abus des gardes ruraux et des propriétaires fonciers dont les paysans de la région étaient continuellement victimes" (21). Après, dans le récit "Noces à Tiscornie" il y a une autre situation d'oppression:
L'un des officiers de la sûreté cubaine qui nous interrogeait
avait, à un moment donné, prit Evelyn à part pour lui demander comment "une beauté immaculée, cultivée et raffinée comme elle avait pu arriver à Cuba au bras d'un mulâtre insolent, rouge et haïtien par-dessus le marché." (40)
Abordons maintenant le dernier roman choisi pour cette étude. La première constatation qui s'impose, quand on analyse le roman de Suzanne Dracius-Pinalie L'autre qui danse, c'est le sujet de l'opprimé qui devient oppresseur. Ainsi, il est intéressant de voir que les femmes déjà marquées de tatouages exhortaient Rehvana de se laisser faire la scarification. Si elles ont des cicatrices au visage l'autre femme doit les avoir aussi:
les femmes exhortaient Rehvana de leurs cris aigus, de
plus en plus haineux, car il fallait qu'elle soit comme elles, il
n'y avait pas de raison que cette petite bourgeoise à peau trop claire, cette mijaurée aux boucles souples, ait gagné les faveurs de leur plus beau mâle et se permette de refuser de faire le nécessaire pour être des leurs. (24)
Ajoutons à cela, le cas où les policiers, "les sbires appointés
mensuellement du colonialisme étatique" (59), qui sont venus des Antilles prennent goût à battre les autres qui sont venus après eux. C'est encore une fois le cas de l'opprimé qui devient oppresseur:
jusqu'à ce que la maréchaussée française envoie, pour séparer le tout, ses policiers lillois, bretons, martiniquais ou guyanais; et les uniformes bleu marin des fonctionnaires disciplinés de la République- " traîtres ", eux aussi, "vendus, assimilés, pourris! " gueulaient les Ebonis en retournant contre les derniers arrivants leurs poings endoloris et tout sanguinolents. (59)
Parfois, l'opprimé se croit liberé seulement quand il arrive à
opprimer les autres. Pour lui, l'oppresseur est le modèle d'homme, alors pour se libérer on doit devenir oppresseur. Rehvana est tombée amoureuse d'Abdoulaye mais comme la majorité des opprimés, selon Freire, elle a peur de la liberté (37) et par conséquent du bonheur: "Cette félicité cependant lui paraît délictueuse, traîtesse et vile" (35). L'aliénation fait qu'elle dépend de lui, elle est faible et sans lui elle tomberait; à côté de lui "elle se sent minuscule et perdue" (54). Elle vit pour Eric mais il la méprise quand il la compare à son ami Chabin: "le nègre roux valait mille fois mieux qu'elle, qui avait toujours, quoi qu'elle dise, le tort de n'être qu'une femme" (177).
Mais elle n'est pas la seule femme aliénée dans le roman; sa
voisine, Man Cidalise, est un exemple du colonisé qui utilise le langage des colons. Ainsi, elle dit a Rehvana: "Il faut dire aussi, une belle petite fille comme ça, quelle idée d'aller avec des manières de nègres d'en bas du bois" (137); et après: "passe que missié-taa était crochu et laid, et noir comme un péché mortel!" Mais, au moins, Rehvana est capable d'apprécier les choses positives de son pays:
une suave et réelle chair de poule de l'irrationel de son peuple, par sa naïve et si farceuse magie" [...]"elle peut lire ainsi sur son corps l'émotion, et violente, et physique, que lui offre, charnelle, la mémoire de sa race - son irréel si concrètement soudé au quotidien, son Histoire fondue aux histoires, au fur et à mesure que l'imprègnent et l'intègrent l'incroyable et le merveilleux. (147)
D'après ce qui précède, il semble qu'en définitive, le problème de l'aliénation et la situation d'oppression des Caraïbes ne sont pas si différents de ceux de l'Amérique Latine. Les rapports sont évidents, et l'étude de la coïncidence avec les idées de la pensée de la libération peut sans doute aider à mieux comprende ces romans. Au terme de cette analyse on doit faire remarquer que la quête d'une identité propre est peut-être le thème le plus important dans cette littérature franco-antillaise: Ils ne sont pas Africains, ils ne sont pas Français, alors qu'est-ce que c'est être Antillais? C'est une quête qui commence avec la revalorisation de la culture créole et de tous ses traits particuliers. On a vu aussi comme la voix de la femme a commencé à se faire entendre: la femme qui est doublement opprimée par les békés et par son mari. Un autre trait de ces romans est leur pessimisme général, bien qu'habituellement à la fin ils loissent une porte ouverte sur l'espoir.
Bibliographie consultee
Capécia Mayotte. Je suis Martiniquaise. Paris: Correa, 1948.
Colimon, Marie-Thérèse. Fils de Misère. Port-au-Prince: Caraïbes, 1974.
Condé, Maryse. La parole des femmes. Paris: L'harmattan, 1979.
Dayan, Joan. "'Hallelujah for a Garden-Woman': the Caribbean Adam and His Pretext." The French Review. 59.4 March (1986).
Depestre, René. Alléluia pour une femme-jardin. France: Gallimard, 1981.
Dracius-Pinalie, Suzanne. L'autre qui danse. Paris: Seghers, 1989.
Fanon, Frantz. Peau noire masques blancs. Paris: Editions du Seuil, 1952.
Freire, Paulo. Pedagogía del oprimido. México: Siglo veintiuno, 1969.
Gómez-Martínez, José Luis. "Consideraciones epistemológicas para una filosofía de la liberación." Cuadernos Americanos. 4(1990): 106-19.
Gutiérrez, Gustavo. Teología de la liberación. Perspectivas. Salamanca: Sígueme, 1990.
Roumain, Jacques. Gouverneurs de la rosée. Paris: Messidor, 1944.
Sarmiento, Domingo Faustino. Antología total de Sarmiento. Selección y ordenación de Germán Berdiales. Buenos Aires: Ediciones Culturales Argentinas, 1962.
Schuarz-Bart, Simone. Pluie et Vent sur Télumée Miracle. Paris: Editions du Seuil, 1972.
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